3 juin - Château de Pirou / Ancteville

Publié le par ARTEMIS - Art Thème Histoire

Ce matin, au réveil, contrairement aux prévisions annoncées hier, la pluie est encore au rendez-vous. Voilà qui ne motive pas à quitter la douce chaleur des couvertures ! Mais il faut tout de même se lever : les uns vont récupérer les vêtements que nous avions mis à sécher, les autres commencent à préparer le petit-déjeuner. Nous inspectons les chaussures, qui sont bien loin d’être sèches, même si elles ne sont plus aussi trempées qu’hier. Il nous faut réprimer nos grimaces et enfiler les chemises et les habits frais et humides… Les cuculles sont toujours aussi mouillées… Elise et Sylvain peinent à l’idée de repartir ainsi, Sylvain proteste même en disant que ce sont  tout de même de ses vacances dont il s’agit ! Mais nous sommes tous dans ce cas, et nous savions, en partant, que nous nous engagions dans une aventure qui ne serait pas de tout repos…! Nicolas, au contraire, peine à cacher sa frustration tant il enrage de ne pas pouvoir nous accompagner. Chacun sa croix, chacun son Chemin…

La pluie finit par se calmer, François nous emmène enfin au lieu que nous avons choisi pour notre départ et nous nous réjouissons de voir le château avant de prendre la route. C’était sans penser que nous étions mardi, jour de fermeture des lieux : nous n’apercevrons finalement que la porte du domaine, et la pointe des tours… Dommage !

Nous entamons notre marche. Il pleut encore un peu mais cela semble en bonne voie. Nous quittons vite la route pour prendre les chemins, pour notre plus grand plaisir. Bien sûr, le sol est un peu boueux à cause de la journée d’hier et de la pluie était tombée durant le mois de mai, les flaques sont nombreuses à éviter, mais nous n’allons tout de même pas nous arrêter pour si peu ! En fait, c’est sans penser au territoire que nous sommes en train de parcourir : nous sommes en plein cœur des marais du Cotentin !! Et les flaques s’agrandissent ostensiblement… Nous devons de plus en plus faire des acrobaties pour marcher sur les bords afin de les éviter.

La boue est de plus en plus profonde aussi, et nous ne marchons pas depuis plus de 5mn dans ces chemins que les chaussures d’Elise, trop basses pour un tel terrain, sont emplies de boue. C’est très dur pour elle, et son moral tombe d’un coup ! Sylvain la console et l’encourage. Nous ne sommes pas fiers, ni les uns ni les autres, et Didier, qui le sent bien, choisit d’avancer avec dynamisme afin que le groupe ne se laisse pas aller au découragement ! Nous marchons donc énergiquement pour le suivre, malgré l’eau qui prend de plus en plus de place dans le chemin. Ca y est, la bordure est trop glissante, la flaque un peu plus profonde, et le pied est dedans, l’eau commence à rentrer à l’intérieur de toutes les chaussures…! Flûte ! Isabelle et Soline avancent en sondant le sol avec leur bourdon. Sylvain enrage contre les conditions de marche…


Hauts les cœurs, il faut avancer. Soline accélère pour tenter de rejoindre Didier et marcher quelques minutes avec lui. Soudain devant nous, non plus une flaque, mais une étendue d’eau qui dépasse bien largement les limites du chemin. Même la bordure est sous l’eau, et les prés de chaque côté aussi !


A peine deux secondes pour se poser la question, refaire le chemin dans le sens inverse en remarchant dans la boue, les orties, etc. ou bien avancer, tant pis… ? Et c’est parti, un pied, deux pieds, ça y est, de l’eau au-dessus des chevilles, oh bigre ! c’est froid, c’est glauque, et c’est mou sous les pieds, savant mélange d’eau, de vase, de terre et de lisier, les hautes herbes freinent un peu la marche, il faut faire de grandes enjambées, six, sept, huit, et hop, nous revoici presque au sec… enfin… en théorie, car toujours dans la boue et les chaussures pleines comme des bassines !!! Ce n’est pas grave, on continue, « courage » se dit-on en nous-mêmes, c’est aussi ça le Chemin, une pensée pour les pèlerins du Moyen Age et d’autres temps qui ont du connaître cela eux aussi… !

Les chausses sont trempées, les chemises et le bas des robes des femmes aussi, poissées par la boue, le lin blanc des habits de Didier est maintenant vert de gris. Nous sommes décidemment beaucoup moins frais qu’au départ ! Nous continuons notre marche, et nous nous rendons vite à l’évidence : nous allons vraiment passer la majeure partie de la journée dans ces conditions, à patauger dans les marais. Nous avons beau essayer d’éviter les flaques, de couper par les champs sur les côtés du chemin, les haies trop denses nous en empêchent souvent, et le peu de fois que nous arrivons, ils sont eux aussi détrempés et la terre glaise nous colle aux pieds, alourdissant nos pas. Alors au bout d’un moment, on ne cherche plus, ni à comprendre, ni à éviter, on fonce, on avance droit devant, ne pensant qu’au point d’arrivée de l’étape… ! Une flaque d’eau ? De la boue ? Peu importe, les pieds dedans, on avance. Un point positif, tout comme hier, nous avons tant d’eau dans les chaussures, que nos pieds ne chauffent ni ne frottent : nous n’aurons pas d’ampoules supplémentaires !


Le balisage est apparemment approximatif sur cette portion de chemin, et la végétation a tant poussé qu’elle cache parfois le marquage que nous devons suivre. Ce n’est pourtant pas le moment de se perdre, vues les conditions. A vouloir aller trop vite au passage d’une ferme, nous faisons un petit détour qui manque de nous emmener encore plus profondément dans les marais ! Nous demandons notre route, afin de savoir où nous nous trouvons par rapport à l’itinéraire, mais il nous faut interroger deux personnes pour avoir une information précise qui nous permette de savoir dans quel sens continuer.


Les chemins se suivent et se ressemblent durant toute cette journée, tantôt l’eau ne dépassant pas nos semelles, tantôt l’eau montant jusqu’au-dessus de nos mollets, toujours aussi froide et glauque. Nous ne nous arrêtons même pas pour manger le midi, c’est mouillé partout, il fait gris, et les kilomètres que l’on fait comptent triple dans nos jambes. Debout sur une portion sèche de chemin, nous sortons nos victuailles et nous les ingurgitons en marchant.


De leur côté Nicolas et François sont allés vérifier que tout allait bien pour la voiture de Didier au Mont St Michel, puis faire sécher quelques vêtements trop mouillés la veille. Sans nous en rendre compte, en raison de notre acharnement à avancer, et du peu de pauses que nous nous accordons, nous avançons vite, si bien que nous arrivons bientôt en vue d’Ancteville. Le manoir n’est pas compliqué à trouver, et nous y sommes attendus pour un cocktail d’accueil à 18h : nous aurons donc une heure pour nous remettre de nos émotions, quitter nos chaussures détrempées, etc., quelle joie rien que d’y penser ! Nous terminons comme toujours sur quelques voies goudronnées. Isabelle peine, à l’arrière du groupe, ses ampoules lui font mal. Soline et Elise, qui commence à avoir mal à la cheville elle aussi, la précèdent, mais pas de beaucoup. Didier et Sylvain sont, comme souvent, ceux qui endurent le mieux l’effort.


Nous voici enfin devant le panneau d’entrée du domaine du Manoir de la Foulerie qui nous accueille gracieusement ce soir : Michel et Sylvie ENOUF nous mettent en effet à disposition des caravanes pour y passer la nuit au chaud et au sec, avec tout le confort juste à côté, ce sera un vrai bonheur ! Nous traversons l’entrée et nous nous dirigeons vers la réception afin d’y être accueillis par le cuisinier de la crêperie du Manoir : un monsieur très actif et dynamique qui nous salue avec entrain, nous annonçant ce qui est prévu pour nous souhaiter la bienvenue : visite de M. le Maire, présence d’un journaliste, et surtout cocktail de bienvenue préparé par ses soins à la demande de M. ENOUF, dans le salon du magnifique Manoir qui domine la cour principale ! Petits canapés au boudin de Normandie, et dégustation d’une boisson nommée « Grand Bleu » sont au programme, hmmm… Nous tombons de fatigue, mais nous sommes touchés de tant d’attention ! Ceci dit, aïe, si le journaliste vient à 18h, nous devons rester en tenue jusqu’à ce moment-là… et garder nos chaussures !? Mais devant tant de gentillesse, nous acceptons rapidement cet effort. En attendant le maître des lieux, on nous installe dans la salle de la crêperie, et le cuisinier nous apporte de quoi nous rafraîchir, des boissons chaudes, etc. Nous sommes là comme des rois, nous qui apprenons chaque jour l’humilité (oui, et l’humidité aussi, il vaut mieux en rire !). Nous prévenons François et Nicolas afin qu’ils ne soient pas en retard pour la petite réception, et nous prenons enfin un vrai moment de détente et de repos… Elise, épuisée physiquement et moralement après l’épreuve de la journée, tombe de sommeil sur la table.


Michel ENOUF arrive avec son épouse, nous commençons de discuter un peu, de ce que nous avons déjà vécu, de ce qui nous attend, etc. Ce sont également tous ces moments que nous espérions dans notre aventure : le partage et l’échange, qui sont toujours enrichissants. Puis Nicolas et François arrivent. Ils rient en voyant notre état, Nicolas regrette de ne pas avoir pu en être car il attendait avec impatience ce genre de chemins. Le journaliste arrive enfin, ainsi que M. le Maire dont la présence nous honore : vite la photo, afin que nous puissions mettre à l’air nos pieds qui macèrent… ! Nous rions tous de nos tenues, de nos mines, nous discutons à battons rompu, et le spectacle de nos pieds déchaussés sera un fameux moment d’étonnement et d’amusement ! Il faut dire qu’ils n’ont pas fière allure, ces pieds tous fripés après le séjour dans l’eau, colorés du tanin des chaussures, ces ampoules qui ont pris de drôles de couleur. Il va nous falloir nettoyer et soigner tout cela proprement ce soir ! Mais pour le moment, place au réconfort et à la détente, nous sommes attendus dans le salon du Manoir. Nous sommes d’ailleurs tous gênés d’y entrer, tant nous nous sentons en décalage avec le lieu, somptueux, propre et pimpant !...


Nous avons l’agréable surprise de trouver dans le salon une affiche avec un mot de bienvenue à notre attention, pèlerins en voyage vers Compostelle, en étape vers le Mont St Michel. Et devant la cheminée monumentale, c’est à notre santé que l’on boit et que l’on régale les papilles ! C’est délicieux, succulent, hors du temps pour nous qui mangeons à la mode du XVe s. midi et soir. Et c’est un bon moment que nous passons là, à évoquer notre projet, sa naissance, son déroulement, nos rêves, etc. Il y a même un ami d’Isabelle et Didier qui arrive pour se joindre à nous : il nous a trouvé tout seul, personne ne lui avait dit que nous étions là ce soir, là !


Puis c’est l’heure pour tout le monde de retourner à ses occupations, le cuisinier a affaire à la crêperie, et nous devons nous occuper de nos affaires. Mille mercis pour cet accueil convivial, ces moments privilégiés sur notre chemin… !

Nous rejoignons nos caravanes qui nous attendent sous un hangar. Elles sont petites et charmantes, parfaites pour y passer une excellente nuit. Et il y a un grand espace avec tout ce qu’il faut pour se laver, nettoyer, cuisiner, etc. C’est formidable ! Nous nous installons confortablement, pour profiter comme il se doit de ces lieux. Mme ENOUF a la gentillesse de passer pour nous demander si nous avons du linge à faire sécher : merci encore ! Nous voici établis pour une excellente soirée régénérante… Nicolas en profite pour refaire la cire de l’intérieur de la gourde en cuir rouge de Soline afin qu’elle puisse en tester l’efficacité demain, chacun s’occupe de ses pieds, lave à grande eaux chausses et chaussures. La soirée s’écoule paisiblement, nous espérons la nuit de même, demain sera un autre jour…

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